Podcast avec Loïc Manchec, vigneron et propriétaire du Mas Costeplane

Flash Matin : Bonjour Loïc !

Loïc Manchec : Bonjour.

Vous êtes Loïc, l’heureux propriétaire du Mas Costeplane, un domaine viticole à Cannes-et-Clairan, dans le Gard. Vous pratiquez l’agriculture biodynamique. On dit que vous êtes un jeune vigneron, c’est vrai cela ?

Loïc Manchec : Je suis un jeune vigneron. Jeune dans l’expérience mais, un peu moins dans l’âge. C’est une reconversion pour moi le métier de vigneron. J’ai repris le domaine Costeplane il y a maintenant 5 ans. C’est un choix qui a été fait, une reconversion. Cela faisait 15 ans que j’avais envie de faire ce métier et à un moment, j’ai fait le saut et je suis venu m’installer dans le Mas Costeplane.

Votre domaine a une histoire longue de plus de 600 ans. Pouvez-vous nous en parler ?

LM : Comme je vous l’ai dit, j’ai repris le Mas Costeplane il y a 5 ans. Ce sont Monsieur et Madame Coste qui l’ont hérité de leur famille. Le domaine est dans leur famille depuis au moins 1405 -1450, c’était tracé. Après une trentaine d’années d’exploitation du domaine et d’avoir installé la cave particulière, ils souhaitaient prendre leur retraite. On s’est rencontré et on s’est bien entendu. On a passé pas mal de temps ensemble avant que je reprenne leur domaine il y a maintenant 5 ans.

L’une des grandes particularités est que le domaine est fait en Bio depuis 1989. C’était vraiment parmi les précurseurs du bio. On est sur un petit plateau au-dessus de Cannes-et-Clairon, un petit village dans le Gard. Il n’y a pas de voisins, on est entouré par la Garrigue, le premier voisin est à 2 km. On n’a pas eu de pesticide depuis 1980, cela fait quasiment 40 ans. On a une biodiversité de terre qui est extraordinaire, mais on y reviendra je pense plus tard.

Oui, donc vous disposez d’une terre qui se prête vraiment bien à l’agriculture biodynamique. On se demande d’où vient la biodynamie et ce que c’est exactement ?

LM : Le concept est développé par Rudolf Steiner, un philosophe autrichien, au début du XXe siècle. Il a une approche un peu plus ésotérique, en relation avec le cosmos. C’est une relation personnelle après, on applique des principes. Je ne comprends pas forcément tout ce que Rudolf Steiner a pu expliquer, tout ce qu’il a pu décrire. Ce qui est sûr aujourd’hui, c’est qu’on commence à trouver les explications à ce qu’il disait et c’est un petit peu un visionnaire. On va retrouver quelque chose qui peut paraître parfois ésotérique et on en prend ce qu’on veut.

Pour moi, c’est une approche très personnelle. La biodynamie est une approche en symbiose avec la nature. Au lieu d’une approche, ou l’on détruit ce qui dérange, ou l’on exploite au maximum et qu’on pilote les processus par l’utilisation d’artifice chimique, nous, notre approche viticole et vinicole en biodynamie est de travailler dans le respect du vivant, dans la confiance qu’on a dans la nature et dans l’accompagnement de la plante.

J’ai une formation d’ingénieur à la base, je suis quelqu’un d’extrêmement rationnel et j’ai compris une chose en arrivant à Costeplane. En fait, il est illusoire de penser qu’on peut tout maîtriser. Ma relation va beaucoup se fonder sur une espèce d’intuition. Quand je marche dans mes vignes, si je vous disais que je parle à mes vignes et que je les écoute, cela va vous faire sourire. Pourtant, c’est vraiment quelque chose que je ressens. À partir de là, je vais prendre une décision et non pas forcément sur des informations techniques. Évidemment, je reçois les bulletins de santé des végétaux comme tous vignerons et derrière, cela ne veut pas dire que je vais passer les préparations. Je vais prendre ma décision en fonction de ce que je perçois de la vie, et ce n’est pas quelque chose de rationnel. Je ressens des vibrations en moi qui vont me dire, j’y vais ou je n’y vais pas. Jusqu’à présent cela marche.

Le meilleur exemple que je vais prendre c’était en 2019, ma première année, je me lève un matin à 6h du matin pour aller poudrer les vignes, c’est-à-dire passer du soufre pour empêcher l’oïdium de se développer. À 5h et demi du matin, je regarde dehors et je me dis : « Je n’y vais pas. » Quatre jours après, il fait 46°. Ceux qui avait poudré, les vignes ont cramé. La vie, elle me donne ce qu’elle peut me donner. Derrière, on l’accompagne effectivement avec des préparations de biodynamie, des préparations à dose homéopathique. L’idée est en plus de transmettre à la plante une information et une intention que de faire le travail à sa place.

Vous parlez justement de préparation à dose homéopathique. De quoi sont constituées un peu vos préparations et qu’apportent-elles à vos sols ?

LM : On peut clairement parler d’homéopathie. Lorsque vous avez préparé les préparations de bouse de corne, on va passer l’équivalent de 100 g de bouse de corne à l’hectare. On va mettre 4 g de silice à l’hectare. Lorsqu’on passe une tisane des Près ou d’Ortie, on envoie un message à la vigne. C’est pareil avec les préparations en biodynamie. Cela renforce la vitalité, le lien, la lumière. On est dans une approche similaire à l’homéopathie.

La bouse de corne est censée apporter un équilibre au niveau des sols et aider le sol à se régénérer. On trouve cela quand on fait des profils à la bêche sur des sols en biodynamie ou des sols qui ne sont pas en biodynamie. On voit une richesse racinaire bien plus importantes sur des sols en biodynamie. Identique pour la silice qui a un lien avec la lumière et qui permet d’ailleurs, on peut le constater, de voir les rameaux des vignes se redresser encore plus droits. Il aurait été démontré récemment que les feuilles s’épaississent et ont également une meilleure résistance aux attaques.

Ce sont des petits effets et je pense qu’après, il y a eu beaucoup de volonté qui passe à travers le travail que l’on fait et que l’on n’arrive pas techniquement à expliquer. On a un effet d’une molécule qui n’était plus présente scientifiquement dans le produit et pourtant cela fonctionne, cela donne des effets. Donc, on passe la bouse de corne, la silice, je passe de la Prêle. Pourquoi la Prêle ? La Prêle est aussi une intention. C’est une plante qui vit dans un milieu humide et qui a des capacités de résistance aux maladies cryptogamiques. L’idée, à travers les tisanes de Prêle est d’envoyer un message à la vigne d’une attaque cryptogamique ainsi qu’elle se prépare, qu’elle comprenne comment se défendre. C’est un peu particulier de dire que c’est une préparation qui va envoyer un message, mais il se trouve que cette année, on a eu une très forte pression de mildiou et on va terminer avec très peu de mildiou et en ayant passé très peu de cuivre dans les vignes grâce à toutes ces préparations, je pense.

Ce n’est pas parce que l’homme n’a pas analysé, modélisé ou compris un fonctionnement qu’il ne se passe pas quelque chose. Récemment, il a été démontré que les arbres sont capables de transmettre des messages à travers tout un réseau de communication souterrain. Il faut être humble devant la nature. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas compris et expliqué quelque chose, qu’il ne se passe pas quelque chose.

Vous avez bien évidemment le label Demeter qui est un écolabel de qualité mondiale pour les aliments issus de l’agriculture biodynamique. Pour la petite histoire Demeter, était la fille de Cronos, Déesse des Terres et des Moissons. Elle avait le pouvoir de contrôler les saisons. On reste donc, avec ce nom de label, très proche de la nature. Votre manière de faire vous assure entre autres une biodiversité incroyable au cœur de vos vignes, non ?

LM : L’une des choses qui m’a fait le plus plaisir était le commentaire d’un auditeur Demeter l’année dernière qui a dit qu’il y avait une biodiversité assez fabuleuse à Costeplane. Déjà, moi je ne suis pas du tout un expert en biodiversité. Ce que je peux constater simplement c’est qu’aujourd’hui sur le domaine, on a énormément d’oiseaux. Quand je vais dans les vignes, ça bouge de partout, ça vit. J’ai des insectes, des araignées, des reptiles, des oiseaux. La nuit, on voit les sangliers passer, parfois un peu trop, des chevreuils. Quand je regarde ne serait-ce qu’au niveau des oiseaux, on a des rolliers, des guêpiers, des loriots d’Europe, des pies grièches, des petits ducs. Être assis à Costeplane un soir, et voir un petit duc se poser sur un poteau à 4m, c’est magique !

On va s’intéresser maintenant à l’étape de la vinification. Comment cela se passe justement chez vous avec l’agriculture biodynamique ?  

LM : Par rapport à toutes les techniques œnologiques qui existent, le cahier des charges de Demeter est extrêmement restrictif. On travaille en levure indigène, on n’a pas le droit d’acheter des levures du commerce pour transformer le sucre en alcool. Ça c’est important parce que quelque part dans les arômes du vin, vous avez des arômes primaires du raisin et des arômes secondaires qui viennent de la fermentation. Lorsque vous achetez des levures standards du commerce, ce sont des formules 1 et elles font toutes les mêmes arômes. Ce n’est pas très intéressant.

Il y a un côté très terroir dans nos processus de vinification. Après, on a le droit à quasiment aucun intrant alors cela veut dire que l’on va faire une vinification qui est plus difficile à gérer et plus délicate. Le seul levier que l’on va avoir c’est d’accompagner la levure en gérant la température de la cuve. C’est-à-dire en empêchant que ça parte trop fort au départ et éventuellement en réchauffant un peu le vin pour aider la fermentation en fin de vinification. A partir du moment où on travaille avec une levure naturelle non sélectionnée, ce n’est pas forcément une formule 1 et ça c’est le côté où l’on va avoir des vins avec vraiment notre typicité.

On ne fait pas du Coca Cola et je dirais que c’est un peu le travers de l’œnologie aujourd’hui. On repasse un peu trop sur le mode de gestion chimique. En biodynamie, on va laisser vraiment la nature faire son travail. On va l’accompagner, mais on va la laisser faire son travail. On va trouver un produit qui nous est spécifique. À partir du moment où vous êtes en biodynamie et que vous laissez effectivement les levures naturelles prendre le dessus, on ne peut pas reproduire un goût. À partir du moment où vous êtes en biodynamie, c’est vraiment le goût de votre raisin qui va ressortir. De là, on va retrouver vraiment quelque chose de plus amusant parce que ça varie un peu chaque année. Il faut qu’on pilote beaucoup plus ce qu’on veut faire et du coup, nous, on vinifie tout.

Chaque parcelle est vinifiée à part, voire même parfois certaine rangée de parcelles qui concentrent davantage, on va les vinifier à part. Ensuite, au mois de Février, on va décider après la stabilisation hivernale de faire les assemblages. On va prendre toutes les cuves et on va faire les assemblages de nos différentes cuvées. C’est logique puisqu’on a piloté nos différentes parcelles de vinification du mieux qu’on pouvait, et derrière on va retrouver l’assemblage qui nous correspond le mieux.

Je ne peux pas vous garantir que chaque année vous allez avoir exactement le même profil que l’année d’avant, parce que l’on a des effets millésimes. Certaines cuvées par exemple comme « le silence » et bien il s’est passé quelque chose, je me suis dit :  je n’assemble pas, je le garde tel quel. C’est un 100% grenache et je n’arrivais pas à le refaire. Ce n’était pas possible en 2019, pas possible en 2020, et en 2021 ça y est ! Il s’est passé quelque chose, entre le vin de l’année et une barrique qui a permis de refaire la même chose. Ça c’est un peu le côté artistique et c’est un vrai plaisir derrière, en tant que vigneron, de travailler comme cela.

Une des spécificités aussi étonnantes de la biodynamie est la fraîcheur retrouvée dans le vin, pas lourd du tout. Quand on regarde au niveau des analyses, on a des pH qui sont relativement élevés. Pourtant, la vivacité en bouche est très plaisante.

Cette fraîcheur, comme vous le dites, on peut la retrouver dans le vin rouge, le blanc et le rosé puisque votre Mas produit les 3 couleurs ?

LM : On fait les 3 couleurs alors on est principalement sur le rouge. Effectivement, je fais à peu près 10.000 bouteilles de rosé par an et après en blanc, on fait du mono-cépage. Donc, on a un chardonnay, un vermentino, on a un blanc beaucoup plus gastronomique qui marche très fort aussi. On a une gamme qui va du vin fruité facile à déguster à des vins qui sont beaucoup plus gastronomiques et structurés et toujours avec de la fraîcheur et une belle complexité.

En rosé, on fait un rosé qui est un assemblage de grenache et de syrah. Sur les assemblages de très haut de gamme, je fais une vingtaine de barriques à peu près. J’ai la syrah d’un côté et le grenache de l’autre, toujours en parcellaire. Au moment des assemblages, on va faire le meilleur assemblage possible avec nos barriques. Là, c’est une vraie symbiose avec nos œnologues. Je peux dire ce que je veux, je ne saurais pas forcément le faire et là, en travaillant en plus avec nos œnologues, on nous propose un assemblage, on goûte, on discute, on ajuste. Et ça c’est magique puisque lorsqu’on a quelqu’un qui est capable, sur une expression que je dis : « il manque quelque chose », eux ils vont dire : « je vais prendre un peu de telle cuve et on va ajouter 5% de telle cuve » et ça fait l’assemblage que l’on veut, c’est magique !

Pour finir Loïc, organisez-vous des évènements en œnotourisme où l’on pourrait venir déguster votre vin ?

LM : Alors, on commence. On a fait la première soirée dégustation au clair de lune. On a vu le levée la pleine lune au-dessus de la colline de l’Arboussède. C’était un moment absolument magique et j’espère qu’on va continuer à développer cela. Émilie qui est en charge un peu de tout ça, développe des choses. La prochaine séance, ce sera un petit peu sur l’approche entre la dégustation et les mots qui vont ressortir de cette dégustation. Cela va être intéressant.

Merci Loïc de nous avoir éclairé sur cette magnifique pratique qu’est la biodynamie et qui permet finalement, à chacun qui la pratique, de se rapprocher de la nature et des bienfaits qu’elle nous offre. Merci Loïc !

LM : Écoutez, c’est moi qui vous remercie et puis, j’espère que cela éclairera certains nombres de personnes sur les bienfaits de la biodynamie.

Je rappelle que nous étions avec Loïc Manchec, propriétaire du Mas Costeplane et spécialisé en agriculture biodynamique. Quant à nous, on se retrouve très vite pour un autre « On en parle ». Salut !