Culture
Exposition
Musée La Grande Saline, interview, podcast avec Perrine Lefebvre-Girardot


Alors bonjour Perrine et merci d'avoir accepté notre invitation. Tout d'abord, pourriez-vous nous parler du patrimoine industriel incroyable qu'abrite la Grande Saline ?
Perrine Lefebvre-Girardot | C'est déjà son histoire. Puisque l'histoire de la Grande saline de Salins-les-Bains, c'est au moins 1200 ans de production de sel sans interruption. C'est une histoire qui a commencé au VIIIe siècle et qui s'est achevée en 1962. Donc, il faut se dire que la Grande Saline, c'est un vrai livre ouvert sur l'histoire. Et l'arrêt récent de la production de sel a permis de garder des éléments techniques et architecturaux remarquables qui nous font bien comprendre les différentes étapes de production.
La pièce maîtresse, vraiment de la Grande Saline, c'est sa galerie. Sa galerie bâtie au XIe siècle pour pouvoir protéger les sources salées. Elle s'étend sur 165 mètres de longueur et fait 8 à 10 mètres de hauteur. Il a fallu 120 ans pour la construire, et quand on la découvre, on a cette impression d'être dans une bulle temporelle. C’est une galerie qui est très impressionnante, qui dépasse en longueur celle de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Donc c'est vous dire quand même la Majesté finalement de cette infrastructure souterraine, c'est une galerie qui a été utilisée telle quelle jusqu'à la fermeture en 1962. Et on ne peut que s’émerveiller finalement face à un tel génie architectural.
Il y a une autre pièce maîtresse qui est incroyable à la saline, c’est le système de pompage du XVIIIe et du XVIIIIe. Quand on avance dans cette galerie médiévale, on est attiré par le bruit de l'eau et à un moment donné, on arrive finalement sur cette roue qui fait quand même 5 mètres de diamètre, qui entraîne un grand balancier en bois qui date du XVIIIe siècle. Et, au bout de ce balancier, on voit une pompe. Et, tout ceci fonctionne ! Donc, imaginez l'émerveillement que ça peut générer. Ce sont vraiment les deux grandes pièces maîtresses à découvrir.
Mais ce qui est très important aussi finalement chez nous, c'est la dimension humaine. Et ça, on le perçoit très bien quand on entre dans la salle d'évaporation, rien n'a été démonté, on a tout laissé sur place. On a simplement restauré pour mieux valoriser finalement ces différents éléments. Mais quand on entre dans la salle d'évaporation, on découvre encore la dernière poêle à sel de Salins mais aussi de France. Et c'est dans cette cuve finalement que les ouvriers en 1962 récoltaient encore le sel.
On a encore l'espace muséographique où on découvre des éléments justement liés au séchage, au conditionnement. Donc c'est un vrai parcours. Et plus qu'une visite guidée, c'est un vrai moment de partage qu'on propose à nos visiteurs. Donc tous ces éléments-là, qui sont uniques au monde, permettent de continuer à faire vivre cette mémoire industrielle qui est encore très vive à la saline. Et pour continuer justement à faire résonner les voix de ces derniers ouvriers qui travaillaient encore dans ces bâtiments en 1962.
Et donc, Perrine, on se demande comment a-t-on pu produire autant de sel si loin de la mer ?
Perrine Lefebvre-Girardot | Alors déjà, il faut se dire que le sel est un élément indispensable dans nos vies, y compris aujourd’hui. Mais, au début de l’histoire de la Grande Saline, donc au VIIIe siècle, c’est encore plus vrai puisque le sel était le seul moyen pour conserver les aliments. La présence de sel en Franche-Comté et donc son exploitation pendant 1 200 ans à Salins-les-Bains a de quoi surprendre bien sûr, mais cela s’explique géologiquement.
Le sel, d'où qu'il vienne dans le monde, a toujours une origine marine. Donc, on a du sel en Franche-Comté parce que la mer était présente sur notre territoire il y a 210 millions d’années ! On a un contexte géologique un peu particulier avec une mer peu profonde et un climat tropical, donc tout cela a provoqué l'évaporation de l'eau et le sel, en fait, est resté comme un souvenir finalement de cette mer très ancienne. Le gisement que l'on a aujourd'hui dans le sous-sol franc-comtois est très important. On parle d’un gisement de 40 mètres d’épaisseur et qu’on retrouve aujourd’hui à 250 mètres de profondeur. Le fait d’en avoir dans notre région et qu’il a été découvert très tôt dans l’histoire a très largement contribué au développement et à la prospérité du territoire.
Alors justement, vous parlez de développement et de prospérité. On imagine que cette exploitation a dû faire l'objet de convoitises de certains puissants et de religieux de notre histoire ?
Perrine Lefebvre-Girardot | Alors, en 1200 ans d'histoire, la Grande Saline a connu de très nombreux propriétaires. Mais, ce sont toujours les plus grands, les plus puissants de ce monde. Donc, on peut mentionner bien sûr les comtes et les ducs de Bourgogne, avec notamment Jean sans Peur et Charles le Téméraire. Puis Charles Quint, les rois d'Espagne et notamment Philippe II, Louis XIV. La Saline, c'est un centre de production extrêmement important pour l'économie du territoire, mais c'est aussi un centre de prestige et de pouvoir. C'est quand même une usine qui a généré à elle seule la moitié des revenus de la région. Donc, on comprend bien sûr son importance et le fait qu'elle était au cœur d'enjeux stratégiques et diplomatiques au cours de l'histoire.
La ville de Salins comptait au Moyen Âge une quinzaine de congrégations religieuses. Cela est un marqueur de prospérité assez éloquent. Le sel va forcément générer une grande attractivité et les religieux, comme la bourgeoisie et l’aristocratie, vont s’installer dans la ville et profiter de cette richesse. On a quelques exemples qui sont très marquants, notamment celui de Guigone de Salins qui a épousé Nicolas Rolin, chancelier du Duc de Bourgogne. Guigone de Salins, en fait, était la 3e fille du trésorier de la Grande Saline. Et à sa mort, il a légué à sa fille, les parts qu'il possédait sur la saline. Et 20 ans après leur mariage, ils ont fondé les Hospices de Beaune avec justement la richesse issue de l'exploitation du sel à la Grande Saline. Donc, c'est quand même très intéressant de voir que finalement cette ressource-là va donner naissance à de grands établissements qui sont mondialement reconnus aujourd'hui.
Et donc, durant toutes ces années, la Grande Saline a été témoin de nombreuses avancées sociales, souvent précurseurs à l'époque. La Grande Saline avait-elle compris bien en avance les moyens de garder leurs ouvriers à long terme ?
Perrine Lefebvre-Girardot | Effectivement, il ne faut pas oublier qu'une production industrielle est avant tout une aventure humaine. On sait qu'au Moyen Âge, la saline employait 820 personnes pour la production et près de 4 000 hommes dans les forêts alentours pour la seule gestion du bois. On n'a jamais souffert d’un manque de main d’œuvre parce que très tôt dans l’histoire la saline a compris qu’il fallait des avantages pour attirer la main d'œuvre, la garder sur site et limiter les vols. A partir de cette époque-là, on va vraiment observer une culture d’entreprise avec des avantages sociaux assez inédits pour cette époque. On parle par exemple de salaires très avantageux, des primes de travail versées directement en sel, une mutuelle qui permettait de protéger l’ensemble de la famille, des pensions de retraite, des aumônes pour les ouvriers malades ou infirmes. Il faut savoir que les avancées sociales, les avantages accordés, l'étaient autant pour les hommes que pour les femmes. Et celles qui travaillaient enceintes à la saline avaient même droit à des primes de naissance ! Donc on peut comprendre finalement que dans un contexte industriel où les conditions de travail étaient terribles, quelle que soit l'industrie, la saline se soit démarquée et n'ait pas souffert d'un manque de main d'œuvre.
Et à partir des années 1880, 1890, la Grande Saline subit un ralentissement de production jusqu'en 1962 où là la production s'arrête. Et alors une douzaine d'ouvriers travaillaient encore dans l'exploitation. Ils ont pu être reclassés dans la ville assez facilement et rapidement, une reconversion a été mise en place. Vous nous en parlez ?
Perrine Lefebvre-Girardot | La Grande Saline a arrêté sa production de sel en 1962. La ville de Salins a racheté les bâtiments en 1966 et décidé de l'ouverture au public en 1968. Cette reconversion très rapide a permis de bien préserver les éléments techniques et architecturaux. Donc quand on vient visiter la Grande Saline, on est bien sur le site historique de production. C'est donc beaucoup plus un monument historique qu'un musée. Notre inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO en 2009 a généré une couverture médiatique très importante. Donc l'inscription, c'est une très belle reconnaissance puisque ça valorise finalement cette aventure humaine incroyable. C'est 1 200 ans d'histoire mais c'est aussi une grande responsabilité pour les gestionnaires avec notamment la tâche de valoriser la VUE, donc la Valeur Universelle et Exceptionnelle qui a conduit justement à cette inscription au patrimoine mondial. La ville de Salins a effectivement obtenu le statut "Musée de France" pour ses collections. Il nous permet d'obtenir des subventions de la part des partenaires publics et notamment de la direction régionale des affaires culturelles pour tout ce qui est justement acquisition de nouvelles œuvres et aussi pour la restauration justement des œuvres acquises précédemment.
Pour terminer, Perrine, pourriez-vous nous conseiller quelques endroits à visiter pour parfaire notre connaissance de Salins-les-Bains et de ses environs ?
Perrine Lefebvre-Girardot | Salins-les-Bains possède un patrimoine d’une très grande richesse. Donc c’est vrai, quand on vient visiter la Grande Saline, c’est un peu le point de départ pour comprendre ensuite la ville et le territoire. Quand on vient à Salins, on peut découvrir notamment tout le patrimoine religieux. Quelques églises sont conservées et ouvertes au public. On conserve encore aujourd'hui beaucoup d'hôtels particuliers à Salins-les-Bains, qui sont le signe de la présence de cette bourgeoisie et de cette aristocratie. On a aussi un patrimoine naturel qui est très important. On peut déambuler le long de la rivière et surtout gravir les monts qui encadrent Salins et aller découvrir justement les forts. Donc on a encore deux forts qui dominent la ville aujourd’hui. L'un d'eux est visitable. C'est le fort Saint-André et tout autour de Salins, on a également un patrimoine naturel remarquable à découvrir.
Et bien, merci beaucoup Perrine, vous nous avez donné envie de venir découvrir la Grande Saline.
Perrine Lefebvre-Girardot | C'est un site dont on parle avec passion et j'espère en tout cas que nos futurs visiteurs ressentiront la passion que l'on éprouve pour cette histoire.
C'est tout pour aujourd'hui. Je rappelle que nous étions avec Perrine Lefebvre Girardot, chargée de la communication et des partenariats à la Grande Saline. Quant à nous, on se retrouve très vite pour un autre “On en parle”.
Diaporama
Adresse | Contacts utiles
3 Place des Salines39110 SALINS-LES-BAINS
Tél. : 03 84 73 10 92
Site Internet
http://www.salinesdesalins.com/
Trois parkings gratuits d'une quarantaine de places chacun se situent aux abords immédiats de l'accueil de la Grande Saline (à 40 et 100 mètres) : une fois stationnés, suivez les pas jaunes imprimés au sol, ils vous conduiront à la Saline.
En Voiture : A 45 min de Besançon, de Lons-le-Saunier et de Dole A 2h de route de Lyon et Genève Accessibles par l’autoroute A39 et l’autoroute A36 : sorties Poligny, Dole ou Besançon.
En Avion : A proximité de l’aéroport de Dole-Jura (35 min).
AVIS
23 personnes aiment LA GRANDE SALINE
LA GRANDE SALINE : les avis

Jade L.
10/10
03/06/2024 - Publié il y a 1 an
Bravo pour ces explications riches d'enseignements et préparer notre venue dans le Jura et la Grande Saline.